mardi 30 décembre 2014

« Que vaut la sécurité alimentaire quand elle implique des périls  sanitaires et écologiques? »

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Les Algériens sont devenus des consommateurs de masse comme il en existe des milliards dans le monde...
« Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger », tout le monde se souvient de cette maxime qui fit tant jubiler l’Avare de Molière.
Dans le contexte historique de cet illustre dramaturge français, ainsi que  celui  du personnage central de sa pièce, c’est une phrase qui  sonne presque comme une propagande réactionnaire ; un adage qui renie en bloc un des fondements de cet hédonisme qui deviendra plus tard presque le synonyme le plus éloquent du « Progrès », tel qu’il est envisagé par nos sociétés industrielles modernes. Le fameux « confort moderne »  en question, implique forcement la possibilité de consommer de la nourriture avec abondance et le minimum de restrictions géographiques ou saisonnières.
De nos jours, il suffit de se renseigner sur l’état des sols, de la biodiversité, mais aussi des ressources hydriques des plus grands pays agricoles du monde, pire, encore, sur l’état de santé de leurs citoyens; on pourrait  alors même douter du fait qu’il est encore possible de « vivre », entendons en bonne santé, tout  en se nourrissant selon les normes mondiales de l’industrie agroalimentaire contemporaine. Quand on s’interroge sur la nature de nos sociétés ultra matérialistes et productivistes, mais aussi hyper ludiques, on peut également se demander si, de nos jours « vivre pour manger » ne signifie pas participer à l’économie de marché de manière passive ou active, tant que vivre, c’est d’abord consommer ou produire. Celui qui produit ou ne consomme pas a peu de chance de manger dans un monde prolétaire  où cultiver n'est plus un savoir faire très populaire et démocratisé...
Certes, l’agriculture pétrochimique, mécanique, fossile, gigantesque  a pour défi officiel d’endiguer globalement la famine, de résorber le fléau de la malnutrition par l’abondance et la productivité. Il serait de mauvaise foi de remettre totalement en question les quantités astronomiques et variées de denrées alimentaires qui sont produites, consommées et  qui circulent  industriellement à travers le globe terrestre. Mais, doit-on pour autant oublier que, non seulement, cette « manne » ne profite qu’à une minorité d’habitants sur la planète, mais qu’elle a engendré de nouvelles créatures  tout aussi nuisibles pour la sécurité de l’ensemble de la biosphère dont nous sommes partie intégrante et à présent perturbatrice ?
L’Agronomie moderne et l’industrie agro-alimentaire mondiales ont-elles vraiment transformée une Humanité nomade  de chasseurs cueilleurs en une civilisation agricole capable de produire des surplus alimentaires, et donc d’entretenir des « élites » ? Jamais nos régimes alimentaires n’ont été si exotiques, doit-on encore faire la guerre pour une poignée de poivre ou de quelquonque  épice venue du lointain Orient ? N’avons-nous pas l’air de chasseurs et de cueilleurs dans l’enceinte d’un supermarché ou une simple épicerie du coin ? On chasse le bon produit au bon prix, on le cueille sur une étale ; mais on ne cueille plus ni ne chasse pour réguler la nature, ni pour semer grâce à nos excréments  les graines ingurgitées lors de notre alimentation ; à présent, ce n’est plus un service contre un autre, il faut payer en argent comptant ce qui était gratuit.
Face au triste spectacle  médiatique d’un rachitique somalien privé des bienfaits du développement,  miné jusqu’à l’os par la faim, le ventre gonflé par la malnutrition,  banni  de notre monde « développé » tel un zombie parqué dans  un désert infertile, le quotidien du  pauvre américain  ne parait guère plus reluisant, au fond : boulimique au point de l’obésité ou de l’anorexie, pollué jusqu’aux entrailles  par la pétrochimie, évoluant dans un environnement où on a  déjà introduit plusieurs centaines de milliers de molécules exogènes.
Du « Printemps silencieux »  livre écrit par la biologiste Rachel Carson et publié aux États-Unis par Houghton Mifflin en septembre 1962  à « Notre poison quotidien » film documentaire et un livre réalisés en 2010 par la journaliste française Marie-Monique Robin, il ne semble au fond ne s’être passé qu’une seule saison, celle d’une prise de conscience ; le constat  d’une dérive sanitaire et environnementale  globale qui  frise étonnamment  avec  l’ampleur d’un génocide à petit feux et, qui est déjà un écocide digne d’être considéré comme la sixième grande extinction de masse des espèces sur Terre annoncée par l’Anthropocène, soit disant ère de l’Homme, prince de l’or  noir , maître ultime de la planète bleue…
L’Agriculture de demain n’est pas celle d’aujourd’hui, car  cette dernière fait la distinction entre ce qui est « bio » et ne l’est pas. Elle est ogre énergétique, trou noir  hydrique et ne fait que nous engager dans une guerre pesticide contre des insectes capables de muter d’une génération à une autre ; autant dire qu’elle est perdue d’avance. Seulement un pour cent de la cible de ses armes chimiques atteignent leurs cibles initiales, tout le reste se diffuse dans l’environnement avec souvent des effets rémanents dans l’espace et le temps.
L’Agriculture d’hier n’est pas la solution optimum, parce qu’elle répond à des contingences qui ne sont pas toujours en écho avec la réalité de notre monde. Elle porte en elle cependant les bases de ce que nous devons faire de l’Agriculture de demain. Allier science et consciences, modernité et traditions, spiritualité et responsabilité, prendre et donner. Appelez cela comme vous voudrez, "agro écologie ", « perma-culture », « forêt nourricière », « bio-dynamie », cela importe  peu, sauf, seulement quand il s’agira  de masquer d’autres desseins derrière de telles bannière en vogue…
Il n’y a qu’une Agriculture possible, de même que l’on devrait appeler un légume « bio » un légume, tout simplement, et, reconnaitre qu’une tomate ogm n’est qu’un placébo de ce fruit à l’état naturel. Une Agriculture qui détruit le ventre même qui la porte, est condamnée à produire de la mort vivante, c’est-à-dire des denrées qui ont le goût, l’odeur et la couleur d’une nourriture, mais  l’effet d’un poison ingurgité à petites doses létales par accumulation quotidienne soutenue.
Pas de sécurité sans santé et un environnement sain. Celle qui a trait à notre indépendance alimentaire se construira d’abord dans les assiettes et les frigidaires des consommateurs Algériens. Car, si c’est l’agriculteur qui vit l’Agriculture, ce sont nous les citadins  qui la consommons en masse ; l’offre  de ces derniers  qui cultivent essentiellement en fonction  de cette demande. C’est notre exigence, en qualité de consommateurs, qui fera celle de nos fellahs ; il serait risqué de gager sur le contraire…
Mais cette conscience ne doit pas se limiter à notre façon de consommer. C’est un comportement, une relation locale avec un environnement national. Consommer Algérien au possible, des aliments de nos terroirs, soutenir celles et ceux qui produisent des produits locaux de qualité ; respecter les régimes alimentaires saisonniers; pénaliser les fraudeurs et les empoisonneurs qui salissent la réputation de nos produits et polluent notre santé, autant que notre économie…
Une fois de plus, c’est à la société civile de faire le nécessaire pour éviter que des pratiques barbares et obsolètes  ne viennent polluer massivement nos sols fertiles et l’eau de notre désert….Personne d’autre ne s’en souciera  à votre place, soyez en malheureusement  sûrs…

Article et photo: Karim Tedjani pour www.nouara-algerie.com

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